« Se dissoudre dans l’immense absolu » ? La question du Tiers-Livre... induite par un échange de paroles éclectiques chez François Bon résonne jusqu'ici où un certain état d'esprit similaire l'avait précédée depuis longtemps ."Le fétichisme de l'absolu" dont parlait Charles Juliet autrefois et dont cette formulation lui avait sauté au visage dans un livre lu, paraît une voie fermée d'avance même si elle est tentante. Il faut aller voir du côté de la sagesse boudhiste pour accueillir sans pour autant l'admettre d'emblée l'idée de la dissolution inévitable dans l'immense et l'impermanence obstinée des éléments de l'univers.Que faire et que dire au quotidien sachant cela ? S'accrocher aux sensations stockées dans notre cerveau, aux quelques idées fortes qui président à notre "sentiment continu d'exister "? Evacuer toute question du sens au profit d'une optimisation des plaisirs de vie accessibles et concrets ? Faut-il "s'enliser" dans nos propres constructions verbales, notre Babel intime, notre orgueil incarné de fragiles Jonas ou de pauvres Cendrillons ? Le discours d'autrui participe on le sait aussi de cette épreuve continuelle d'enlisement dans le temps immémorial et ce ne sont que les petites différences entre les docilités, les malléabilités en cause qui signent provisoirement nos rébellions contre l'engloutissement des souvenirs qui amidonnent nos projets de permanence dans le Monde. Nos projets sont têtus parcequ'ils siègent dans nos cerveaux fonctionnant à pleines brassées de résistance au Néant. Notre solitude est inconsolable car elle procède justement de cette impossibilité transitoire à souscrire à l'indifférenciation qu'il ne faut jamais confondre avec la similitude rassurante de la fraternité d'énonciation. Penser "un peu" la même chose sur les grands problèmes humains aide à ne pas disqualifier trop vite ses propres conclusions et à douter suffisamment. Le moteur principal serait "l'étonnement" plutôt que "la colère" que l'on connaît mauvaise conseillère même si ses vapeurs doivent forcément s'évacuer par la soupape interne qui tombe encore trop souvent en panne chez pas mal de gens. Ce qui m'étonne aujourd'hui c'est que l'on veuille de plus en plus être écoutés plutôt que de se mettre soi dans une position d'écoute qui va avec le silence et l'accueil inconditionnel d'un dire autre . "La conversation est un luxe", je l'ai écrit de nombreuses fois après l'avoir trouvé chez LE CLEZIO, je renouvelle ce constat. Alors que faire ? Le bavardage m'enlise. Je n'aime que les pensées qui touchent avec tact, les anonymiser ne me semble pas toujours souhaitable, j'aime que l'on se parle les yeux dans les yeux même si cela ne dure qu'un infime moment. Le reste du temps, il faut creuser en soi pour trouver les richesses intérieures qui permettront éventuellement de parler sans a priori de "ce qui est", sans honte et sans excés de séduction. La machine ci-dessus, rencontrée en centre-ville hier au soir m'a fascinée, elle cogne le sol et lui arrache des morceaux de substance pour creuser le trou qui permettra de construire un nouvel ascenseur souterrain. Je l'ai rapportée en pensant à François Bon. Elle est l'excavatrice que constitue l'écriture, dont on ne sait jamais si elle déblaye le terrain ou si elle lui ajoute des épaisseurs d 'opacité . La volonté de construire des ascenseurs demeure un motif d'optimisme relatif. J'en arrive à penser que contrairement aux apparences l'absolu est quelque chose de très compact et de très difficile à entamer à mains nues ...